C’est ici qu’apparaît le désir, c’est ici que se manifeste la coupure du sujet. Voici les premières traces de la formation d’un symbole, d’une utilisation de signes.
Un pressentiment endormi de ce que signifie la future détresse de la vie.
Cela m’a fait penser à Francis Bacon et à son essai Cupidon, ou l’atome dans son livre De la sagesse des Anciens. « Certains poètes, dis-je, prétendent que l’Amour est le plus ancien de tous les dieux, et par conséquent de tous les êtres, à l’exception du chaos, qui, selon eux, n’est pas moins ancien que lui. Or, les philosophes (…) de la plus haute antiquité ne qualifient jamais le chaos de divinité ; la plupart d’entre eux, en parlant de cet Amour si ancien, supposent qu’il n’eut point de père ; quelques-uns l’appellent l’œuf de la nuit; ce fut lui qui, en fécondant le chaos, engendra tous les dieux et tous les autres êtres. Quant à ses attributs, ils se réduisent à quatre principaux ; ils le supposent 1. éternellement enfant ; 2. aveugle ; 3. nu ; 4. armé d’un arc et de flèches. (…) » ; « Cette fable se rapporte au berceau de la nature (…); l’Amour parait n’être que l’appétit ou le stimulus (…) de la matière; ou, pour développer un peu plus notre pensée, le mouvement naturel de l’atome : (…) Elle [cette force] est absolument sans père, c’est-à-dire, sans cause ; la cause d’un effet en étant, pour ainsi dire, le père. Or, une telle force ne peut avoir aucune cause dans la nature (…), car rien n’ayant existé avant cette force, elle ne peut avoir de cause productive, ni être un effet ; et, comme elle est ce qu’il y a de plus universel dans la nature, elle n’a pas non plus de genre ni de forme (…). Elle est la cause de toutes les causes, elle est elle-même sans cause. »
La CAUSE de Bacon est touchante. Elle rappelle un lieu d’arrêt, mais aussi le lieu qui se tient en attente de Lacan, une sorte d’état de suspension. Je vous demande de me suivre non pas dans une succession d’étapes mais dans un saut : Le chaos est la causa materialis, cupido – la causa efficiens, l’œuf – la causa formalis, le mouvement de l’atome – la causa formalis.
Littérature:
Lacan J., Le Séminaire livre XI, Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, L’inconscient Freudien et le nôtre (1964), Texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil 1973
Bacon F., De la sagesse des Anciens, XV. Cupidon, ou l’atome (1609), Traduction par Antoine de la Salle, 1803 [https://fr.wikisource.org/wiki/De_la_sagesse_des_Anciens_(Bacon)/15]